Daniel Keyes, Les Mille et Une Vies de Billy Milligan
Posted on mardi, février 17th, 2009 at 11:43Lequel d’entre nous n’a pas rêvé, enfant, lorsque confronté à une situation désagréable, pouvoir fermer les yeux et se retrouver ailleurs ? C’est que Billy parvient à faire, mais au prix de « perdre le temps » : bien vite il ne contrôle plus ses absences et ne comprend plus ce qui se passe. Incapable de se rappeler des choses qu’il aurait faites, il se fait sans cesse punir sans savoir pourquoi, et devient donc de plus en plus instable.
Des années plus tard, la police débarque chez lui et l’accuse d’avoir violé puis volé trois femmes sur un campus, et trouve toutes les preuves à son domicile. Innocent mais ne pouvant expliquer la situation, il est envoyé en prison. Pourtant, ses avocats voient bien que les choses ne collent pas : il nie être Billy Milligan, son innocence est manifeste, et puis il y a ces changements d’humeur étonnants : un coup, terrifié et replié sur lui-même, il est comme un enfant battu, une autre fois, terriblement arrogant et affublé d’un accent britannique, une autre, doté d’une force surhumaine, il est capable de se libérer de menottes et même d’une camisole de force. Est-ce un simulateur hors pair ou est-il vraiment fou ?
Après plusieurs examens par des psychiâtres, le diagnostic tombe : Billy serait victime de dissociations de la personnalité, et bien vite on identifie une dizaine de « personnes » qui « habitent » en lui. Elles ne se connaissent pas toujours entre elles et se relaient à la conscience, ou, comme il le dit, « sous le projecteur ». Chaque personnalité ne sait pas ce que font les autres et ne se souvient que de ses propres actions. Il y a Arthur, l’Anglais, dépourvu d’émotions et autodidacte, Allen, qui s’occupe des relations avec l’ « extérieur », Ragen, « le gardien de la haine » qui est yougoslave, Danny, 8 ans, « gardien de la douleur », Christine, 3 ans, que tous s’attachent à protéger, etc. Chacun a développé des dons particuliers : jouer à la batterie, maîtriser l’arabe littéraire, virtuosité à la peinture, chimie, électronique, médecine, ouvrir les serrures, maîtriser son adrénaline pour décupler sa force…
La question qui se pose pour la société, après le choix de le croire, sera celle de sa responsabilité, car faut-il punir toute la « famille » (y compris les personnalités les plus fragiles) pour un crime commis par une seule personnalité, inconnue des autres, pour un crime qu’ils réprouvent et dont ils n’ont aucun souvenir ?
Les Mille et Une Vies de Billy Milligan retracent une histoire vraie, fascinante et dérangeante, qui remet en question des idées toutes faites sur la folie et la justice.
Extrait (après la deuxième agression) :
« Le mardi suivant, Ragen s’éveilla, persuadé de n’avoir dormi que quelques heures. Il glissa aussitôt la main sous l’oreiller et découvrit que l’argent avait disparu. Envolé! Evaporé! Et les factures qui n’étaient toujours pas payées ! Et il n’avait rien pu s’acheter lui-même! Une nouvelle investigation intérieure réussit, cette fois-ci, mieux que la précédente : il entra en contact avec Allen et Tommy.
-Ben oui, dit Allen. J’ai vu de l’argent qui traînait. Je savais pas qu’il fallait pas le dépenser.
-J’ai acheté du matériel pou peindre, expliqua Tommy. On en avait besoin.
-Crrétins! rugit Ragen. Je voler seulement pour payer factures. Pour acheter nourrriture. Pour trraites de la voiture.
(…) Je rrecommence. Etrre derrnière fois. »